Bolivie, Colombie, Mexique, Pérou… l’UNGASS (le sommet ONU sur les drogues) se termine avec la comparution à la tribune de plusieurs présidents d’Amérique du Sud apportant — heureusement — une note optimiste à la session, marquée en son début par l’adoption d’une déclaration plus que décevante.

En collaboration avec Think-Tank FAAAT.

 

Aujourd’hui nous avons commencé un processus irréversible de transformation des politiques des drogues, et nous allons le continuer. Nous le devons à l’Humanité.

Juan Manuel Santos, président colombien.

 

Nous, les mexicains, nous connaissons bien la portée et les limites d’un schéma essentiellement prohibitionniste et punitif.

Enrique Peña Nieto, président mexicain.

 

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EN AMÉRIQUE DU SUD : LA PÉROU, LA BOLIVIE ET LA COLOMBIE MONTENT AU CRÉNEAU.

 

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Le président péruvien à la tribune de l’UNGASS

La troisième et dernière journée de l’UNGASS de 2016, premier sommet de l’ONU sur les drogues depuis 1998, s’est ouverte avec le discours du président du Pérou, Ollanta Humala, dans les derniers jours de son mandat, qui est venu expliquer clairement que les pays du Sud avaient déjà fait tout ce qui était en leur possible ; que désormais les efforts devaient venir des pays d’où provenait la demande — les USA bien évidemment — trouvant un écho quelques minutes plus tard dans le discours du président de la Bolivie voisine, Evo Morales, pour qui « les USA sont de très loin le plus grand consommateur de cocaïne, et tant qu’ils ne feront rien pour lutter contre ce phénomène sur leur territoire, nous continuerons à subir les conséquences de cette demande.« 

Alors que le Pérou a été pendant des années fer de lance du développement alternatif — des programmes visant à remplacer les cultures de coca par du café, du cacao ou autre — Humala déclare vouloir développer des projets alternatifs, y compris pour développer des marchés pour les produits à base de feuille de coca, offrant des débouchés pour les producteurs en dehors des circuits du trafic. Il faut dire que le modèle de développement alternatif activement promu par l’ONUDC, comme le souligne le président bolivien Evo Morales, tend à retirer les terres aux petits paysans, sous prétexte de remplacement des cultures, pour les mettre entre les mains de « quelques familles » qui, en salariant le cocaleros, les met dans une situation de plus grande précarité.

Aujourd’hui, l’un après l’autre à la même tribune, le président du Pérou — conservateur, ancien militaire, et futur mis en examen pour corruption — et le président de Bolivie — progressiste, ancien syndicaliste de petits producteurs de coca — demandent, exigent désormais d’une même voix aux pays consommateurs de faire des efforts chez eux pour réduire leur demande, plutôt que de financer la militarisation pour réduire l’offre dans les pays producteurs.

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Le président bolivien à la tribune de l’UNGASS, brandissant une feuille de coca « c’est la culture de mon peuple, notre identité« 

 

* * *

Après ces deux petits pays producteurs, est venu le tour de Juan Manuel Santos, président d’un pays à la fois producteur et de transit, un pays est devenu également consommateur par ricochet, le pays qui « a payé le prix le plus lourd dans cette guerre contre les drogues » : la Colombie.

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Depuis 1994, plus de 76000 colombiens sont décédés en conséquence de la guerre contre les drogues, et cependant le marché illégal de substances n’a pas arrêté de croître.

5 femmes emprisonnées en Colombie sur 10 le sont pour infraction à la législation sur les stupéfiants, mais seulement 1 sur 10 y est pour avoir commis des violences ou appartenir à une association de malfaiteurs. Parmi ces femmes, 93% sont des mères, 52% sont cheffes de foyer et 76% n’ont pas mené d’études supérieures.

Images de l’ONG colombienne Dejusticia.

 

Pour Juan Manuel Santos, « Après tant de vies humaines écourtées, après tant de corruption et de violence générées, après tant de jeunesse qui se fane en prison, peut on vraiment dire qu’on a gagné cette guerre ? Peut-on affirmer, au moins, que nous la gagnerons à l’avenir ? La réponse malheureusement, est non. » ajoutant que « La logique commune nous impose de repenser » un système qui, déjà « en 1912 à La Haye, quand avait été signée la convention sur l’Opium, avait déclaré l’objectif de continuer la suppression graduelle de l’abus d’opium, de morphine et de cocaïne.« 

Il continue en glissant, en réponse à la déclaration de l’UNGASS — dont un groupe d’experts de l’ONU sur les Droits humains déplorait qu’elle embrassait encore le concept d’un monde sans drogues — « Nous devons reconnaître, la main sur le cœur, que, de même que nous n’aurons jamais un monde sans alcool, sans tabac ou sans violence, nous n’aurons pas plus de monde sans drogues.« 

 

Comment est-ce que j’explique moi, à un modeste paysan colombien, qu’il va aller en prison pour avoir cultivé du Cannabis quand n’importe qui peut la produire, la vendre et la consommer librement dans les états du Colorado ou de Washington ? Ça n’a pas de sens !

Juan Manuel Santos

 

À l’instar de son homologue mexicain quelques jours plus tôt, Santos se demande s’il est possible de confronter ces politiques à la réalité des personnes : « J’ai fait l’exercice suivant, et j’invite mes homologues à faire de même : demandez à n’importe quelle mère — n’importe laquelle — si elle veut que son fils dépendant aux drogues passe 5 ans en prison, ou si elle préfère qu’il soit pris en charge par les services de santé. Aucune ne va choisir la prison, parce qu’elles veulent le meilleur pour leurs enfants« . Face à une audience captivée, le président continue : « Les prisons sont faites pour les criminels, pas pour les personnes dépendantes aux drogues — qui, soit dit en passant, deviennent criminels une fois en prison.« 

UNGASS_SANTOSSPEECHMais au delà de la question de l’usage et de la proportionnalité des peines que souligne ici le président par l’exemple, il va plus loin en mettant en question de la même manière la répression de la culture de Cannabis : « Comment est-ce que j’explique moi, à un modeste paysan colombien, qu’il va aller en prison pour avoir cultivé du Cannabis quand n’importe qui peut la produire, la vendre et la consommer librement dans les états du Colorado ou de Washington ? Ça n’a pas de sens ! Il faut concentrer notre lutte sur les nœuds durs de la chaîne : les grands narco-trafiquants, les fournisseurs de produits chimiques, ceux qui facilitent le blanchiment d’argent…« 

Un pin’s de Colombe de la Paix accroché à sa veste, Juan Manuel Santos l’affirme : la Colombie continuera à combattre fortement le trafic illicite, car il s’agit d’une « question de sécurité nationale«  ajoutant qu’ils ont « fait plier les cartels de Medellín, de Cali, et du Norte del Valle » mais que désormais, ils souhaitaient travailler pour « signer la Paix« , faisant références aux dernières avancées dans les négociations de paix avec le groupe révolutionnaire ELN.

Si les cartels s’adaptent et se transforment, les États et leurs politiques aussi doivent s’adapter et se transformer.

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Le président colombien à la tribune de l’UNGASS

Comme l’explique le président colombien, l’Amérique Latine a commencé à organiser un cycle de réflexion sur le futur des politiques des drogues dès 2012, lors du Sommet des Amériques de Carthagène. Depuis, avec le soutien des organisations comme l’UNASUR ou l’OEA, une position commune a commencé à se forger. Désormais, la position commune de l’Amérique Latine, c’est de mettre le paquet sur la période 2016-2019, s’assurer que le prochain grand rendez-vous sur la question, dans trois ans, prendra pleinement en compte les fortes attentes du sous-continent, libéré de l’emprise de son puissant voisin du Nord.

Au dernier jour de l’UNGASS, le président Santos porte un coup fatal à la portée de changement de cette réunion en affirmant que le débat ne se finissait pas là, que le débat commençait à peine, et que, bien que la déclaration de l’UNGASS aille dans le bon sens, il en fallait énormément plus pour 2019. « D’ici à 2019, il faudra continuer à rapprocher les opinions divergentes pour cette année-là arriver à l’objectif d’un nouveau consensus mondial sur les politiques face aux drogues. » A ce titre, il a lancé deux appels forts :

  • il demande à ce que la CND — Commission des Stupéfiants de l’ONU, l’organe en charge des préparations de l’UNGASS et responsable de l’immobilisme — soit épaulée par d’autres branches de l’ONU comme l’Assemblée Générale, le Secrétaire Général, l’ECOSOC ou les agences spécialisées en santé, droits humains et développement, mais aussi par la société civile et les milieux universitaires,
  • mais il a aussi repris à son compte une demande issue des ONG de la société civile, qui avait été timidement soutenue par quelques petits pays : la mise en place d’un « groupe spécialement dédié à réviser les politiques et objectifs au niveau mondial« , un groupe d’experts indépendant chargé de donner du sens à la déclaration de l’UNGASS et aller au delà des blocages politico-diplomatiques des États et de la CND.

« Aujourd’hui nous avons commencé un processus irréversible de transformation des politiques des drogues, et nous allons le continuer. […] Nous le devons à l’Humanité.« 

C’est un avis qui est certainement partagé par la Commission Globale sur les Politiques des Drogues, qui déclarait en conférence de presse que la Colombie avait été en première ligne dans les négociations — ce que les équipes #ProCannabisTeam de Chanvre & Libertés-NORML France on pu aussi constater au cours des 3 années de préparation de l’UNGASS que nous avons suivies de près. La Commission Globale est composée d’anciens hauts dignitaires qui poussent les lignes de leurs successeurs à différents postes de pouvoir vers une réforme de leurs stratégies anti-drogues, et en fait partie l’ancien président colombien César Gaviria — en exercice à l’époque sanglante du cartel de Medellín d’Escobar — mais aussi des anciens chefs d’État de Suisse, du Mexique, du Brésil, de Pologne, du Chili, du Portugal ou encore l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan ou le businessman Richard Branson.

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Juan Manuel Santos avec Ernesto Zedillo, ancien président du Mexique et actuel membre de la Global Commission on Drug Policy, dans une rencontre en marge de l’UNGASS.

Dans le même temps où le président colombien parlait à la tribune, Enrique Peña Nieto, président du Mexique, l’autre grand pays latino-américain où la guerre aux drogues a fait des ravages (les ONG mexicaines estiment que ce sont près de 10 000 décès annuels directement liés à la « guerre contre les drogues » dans leur pays, depuis 2006), et qui était venu mardi s’exprimer à la tribune, qui exposait les mesures prises par son gouvernement pour réguler le cannabis, en commençant par la partie médicale.

 

EN AMÉRIQUE CENTRALE, LE MEXIQUE LÉGALISE LE CANNABIS MÉDICAL ET DÉPÉNALISE L’USAGE PERSONNEL.

Comme nous l’expliquions récemment dans un article consacré au discours du président mexicain à la tribune de l’UNGASS, le projet de Loi de régulation du Cannabis au Mexique, discrètement intitulé “Initiative de réforme de la Loi Générale de Santé et du Code Pénal Fédéral” et dévoilé ce jeudi 21 avril, est issu des réflexions développées pendant plusieurs mois dans tout le pays, à travers le Débat National sur la Marijuana et les nombreux forums et évènements organisés.

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Le président mexicain Enrique Peña Nieto lors de la présentation du projet de loi sur la Marijuana à Mexico, 21 avril 2016

« C’est indéniable, les termes du débat sur les drogues ont changé au Mexique comme dans le monde » a expliqué le président mexicain, à peine rentré de New-York. « Nous, les mexicains, nous connaissons bien la portée et les limites d’un schéma essentiellement prohibitionniste et punitif, de ladite guerre aux drogues qui a prédominé au cours des 40 dernières années au niveau international« . Le projet de loi de l’exécutif mexicain comporte trois points :

  • Autorisation de l’usage de médicament élaborés à base de cannabis et/ou de ses principes actifs. Une liste des préparations autorisées va être mise en place, de même qu’un système pour l’importation et de stricts contrôles sanitaires et qualitatifs ;
  • Autorisation de la recherche clinique afin de compléter le registre des préparations autorisées pour différentes pathologies ;
  • Déjudiciariser (c’est à dire dépénaliser de jure, à travers la loi, et non pas les décrets) la possession de cannabis jusqu’à 28 grammes.

« Nous cherchons à éviter deux types d’injustices grâce à ces propositions : d’un côté, les patients et malades qui souffrent d’une maladie et ne peuvent pas avoir accès à un traitement thérapeutique efficace élaboré à base de cannabis, et d’un autre côté l’injustice que subissent des milliers de personnes, spécialement des femmes, dont de nombreuses sont mères de famille, qui ont été criminalisé-e-s pour un usage de cannabis et se retrouvent aujourd’hui à purger des peines totalement disproportionnées.« 

 

EN AMÉRIQUE DU NORD, LE CANADA AUSSI VA DE L’AVANT.

Le besoin, et la demande de changement émanant d’Amérique Latine est donc forte, on l’a vu à travers l’exemple de ces quatre pays, mais l’Uruguay, l’Équateur, le Costa Rica, ou encore le Chili vont dans le même sens, ainsi qu’un bon nombre de petits pays caribéens. Mais si un changement aussi fort est demandé, et qu’aucune trace n’en subsiste dans la déclaration de l’UNGASS, c’est pour une raison plutôt simple.

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César Gaviria en conférence de presse, en marge de l’UNGASS.

Comme l’a clairement résumé César Gaviria, ancien président colombien désormais activiste de haut niveau au sein de la Commission Globale sur les Politiques des Drogues, la dynamique à l’œuvre est la suivante : « Les USA sont responsables du fait que l’on ait pas eu une meilleure déclaration de l’UNGASS. Il n’y a qu’eux qui n’ont cessé de répéter que, parce que les chinois, les russes, les iraniens, les pakistanais n’étaient pas d’accord, alors il n’était pas possible de changer les politiques des drogues. » C’est clairement un avis que partage Evo Morales.

On peut cependant espérer voir le géant nord-américain infléchir sa position car désormais, en plus de se faire dépasser par le sud, c’est son voisin du nord qui s’y met. Le nouveau gouvernement du premier ministre canadien Justin Trudeau avait en effet fait de l’un de ses thèmes de campagne la légalisation du Cannabis, et à la tribune de l’UNGASS, c’est la ministre de la Santé du Canada Jane Philpott, qui est venue délivrer un discours particulièrement déterminé et réformiste, annonçant pour 2017 la réforme des lois sur le Cannabis dans son pays :

 

LES ÉTATS-UNIS PRIS EN ÉTAU.

Poussés dans leur retranchements quant à leur position de blocage à l’ONU, les États-Unis, le pays à l’origine des politiques prohibitionnistes actuellement à l’œuvre, mais aussi celui qui rechigne à le reconnaître et à changer de cap, sont aussi poussés dans leur retranchement au niveau des législations nationales, avec le Mexique et le Canada voisins annonçant des politiques de régulation du Cannabis, en plus des premières failles intérieures apparues avec les référendums de régulation du Cannabis dans les états de Washington, d’Oregon ou du Colorado.

UNGASS_EVO2Et les élections générales à venir en novembre 2016, où une initiative sur la légalisation a de fortes chances de passer en Californie, risquent non seulement de créer un effet domino interne sur les autres États, mais aussi changer profondément les relations géopolitiques, en particulier avec le Mexique voisin. Enfin, les élections de novembre 2016 aux États-Unis marqueront aussi le renouvellement de la Présidence : avec Bernie Sanders et Hillary Clinton, les deux candidats démocrates, s’étant positionnés en signant la lettre ouverte à Ban Ki-Moon publiée au début de l’UNGASS, c’est peut-être même au niveau fédéral que les USA vont, non seulement changer leur position à l’ONU, mais en plus changer leurs politiques internes !

À partir de cet UNGASS, et jusqu’au printemps 2017 s’ouvre donc une période critique — et charnière — sur la question des politiques d’avenir en matière de stupéfiants, particulièrement de cannabis, avec une approche renouvelée, et centrée sur les personnes, leurs droits, et sur les questions de santé et de développement. Approche bien peu compatible avec l’action policière.

 

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En collaboration avec Think-Tank FAAAT.