WorkshopDonostia_Chanvre_Libertes_0St Sébastien, dimanche 17 mai 2015 — Vendredi 15 et samedi 16 mai dernier se sont tenues au Palais Miramar de Donostia-St Sébastien, au Pays basque, les rencontres de la plateforme pour une Regulation Responsable du Cannabis en Espagne, dédiées à planifier la stratégie à mettre en place par la société civile pour atteindre au plus vite et au mieux une régulation complète de la filière cannabicole espagnole, auxquelles a assisté un représentant de Chanvre & Libertés.

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Le workshop s’est tenu dans la salle d’honneur du Palais Miramar, et était organisé par la plateforme espagnole Regulacion Responsable et la mairie de St Sébastien (Donostia en basque, San Sebastian en espagnol), une des premières à avoir régulé les CSC sur son territoire municipal depuis l’arrivée en 2011 de Juan-Carlos Izagirre, un maire progressiste issu d’une coalition de gauche-écologiste-indépendantiste : EHbildu.

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Jon Albizu le 15 mai 2015 au Palacio Miramar, Donostia, Espagne

Jon Albizu, troisième adjoint au maire de Donostia en charge du bien-être social, de la mobilité et de la coopération, est le conseiller municipal à l’origine de l’ordonnance de régulation des clubs. Il a ouvert ces journées en rappelant qu’il est de la responsabilité du conseil municipal que de chercher à améliorer concrètement la vie des citoyens à partir de l’état des choses. Pour lui, le pire défaut en politique, c’est de nier les réalités. Quand on lui demande pourquoi ils se sont lancés dans ce projet avant-gardiste visant à réguler la présence des Cannabis Social Clubs sur le territoire communal de Saint Sébastien, il répond que les autorités politiques locales sont là pour mettre les « mains dans le cambouis ».

« Il y a unanimité sur le sujet au sein de tous les groupes politiques du conseil municipal »
Jon Albizu, troisième adjoint au Maire de Donostia.

En pleine campagne municipale, il en profite pour préciser que l’ensemble des groupes politiques du conseil municipal de St Sébastien, de gauche à droite, étaient conscients dès le départ de la nécessité de mettre en place un cadre pour réguler les associations cannabiques, qu’ « il y avait unanimité sur le sujet » et que c’est sur cette base que EHbildu, majoritaire au conseil, a pris l’initiative de rédiger cette ordonnance.

Même si celle ordonnance a causé de nombreux remous, et notamment fortement détérioré leurs relations avec le gouvernement espagnol, Jon Albizu est certain que le débat général sur la réforme des politiques relatives au cannabis a fortement gagné de l’expérience Donostiarra.

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De gauche à droite : Ramon Morcillo, RCN-NOK (Rassemblement Cannabique de Navarre) et candidat aux prochaines élections autonomes de Navarre ; David Pere, anthropologue de la Fondation IGenus ; Virginia Montañes, CERCA (Commission d’Étude pour la Régulation du Cannabis en Andalousie) ; Iker Val, EUSFAC (Fédération des Associations Cannabiques du Pays basque espagnol) ; Redro Pérez, La Santa Le Club ; Nerea Larrañaga, CSC Gest

Créée à l’image de la coalition de la société civile uruguayenne qui, entre 2012 et 2014, réunissait 10 associations importantes et plus de 100 professionnels pour accompagner la mise en place de la loi de régulation du Cannabis en Uruguay, l’idée d’une plateforme espagnole Regulacion Responsable a commencé a faire son chemin pendant l’été 2014 autour de quelques collectifs décidant de mettre en place un projet similaire.

WorkshopDonostia_Chanvre_Libertes_3En septembre 2014 à Irun, au Pays basque espagnol, lors de la 3ème édition de la foire Expogrow, plus de 50 associations se sont jointes à l’initiative, en précisant les objectifs et créant des commissions de travail : coordination, communication, comité éthique et comité scientifique (lui-même composé des sous-commissions « éducation à l’usage et prévention », « économie », « auto-production », « culture collective et CSC », « règlementation de l’accès médical »).

En janvier 2015, une assemblée générale constitutive a permis de donner une existence juridique à la plateforme et de fixer les projets politiques :

  • Une proposition législative de régulation de la filière, passant éventuellement par une Initiative Législative Populaire (une pétition de projet de loi destinée à être examinée par le parlement, à l’instar des Initiatives Citoyennes Européennes au niveau de l’UE, processus prévu par la constitution espagnole, mais toujours pas en France)
  • Un lobbying politique (avec pour but de forcer 70% des partis politiques à prendre position à minima sur la question, en vue des élections générales qui se tiendront en novembre 2015, et qui renouvelleront le Parlement espagnol et le gouvernement)
  • Une campagne interne de communication, afin d’atteindre les membres des CSC adhérents de la plateforme, et comme but de toucher de 20 à 30% des usagers du pays
  • Des campagnes externes de communication et de lobbying social, à destination des non-usagers.

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Ce workshop organisé à Saint Sébastien fut la troisième rencontre d’envergure de la plateforme Regulacion Responsable. Les groupes de travail prévus abordaient plusieurs aspects pratiques visant à permettre le développement des actions de la plateforme :

  • Coordination de la plateforme et prise en considération des revendications de tous, incidence politique
  • Proposition de feuille de route, ou « les cinq piliers pour une régulation intégrale du cannabis » :
    • Détention pour usage personnel et autoproduction
    • Culture collective et CSC
    • Commerce avec licence (« chanvrerie », qu’on appellerait en France « cannabistrot »)
    • Éducation à un usage responsable
    • Accès au cannabis thérapeutique
  • Recommandations à l’attention du gouvernement espagnol en vue de l’UNGASS de 2016
  • Prévention, information et éducation à un usage responsable
  • Lobbying, poids politique et stratégie de la plateforme.

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Workshop Regulacion Responsable, le 16 mai 2015, palacio Miramar, Donostia-St Sebastien, Espagne.

Comme conclusions générales, on retiendra la juste remarque de Virginia Montañes de la CERCA, pour qui si tant d’avancées ont été possibles dernièrement en Espagne, c’est en grande partie grâce à un renouvellement militant ayant permis de rompre avec l’absence de femmes et les abus de pouvoir, l’auto-promotion et autres excès d’égo de leaders associatifs trop bien installés, et plus généralement l’endogamie et la prédominance des hommes blancs de classe moyenne dans le mouvement.

On retiendra également l’intervention de l’anthropologue catalan David Pere de la Fondation IGenus, pour qui le caractère anti-prohibitionniste de l’initiative doit être partagé et réaffirmé, pour des raisons centrales conditionnant la réussite de la plateforme :

  • WorkshopDonostia_Chanvre_Libertes_8d’un côté, il définit comme conditions d’un mouvement social le croisement entre des personnes percevant une injustice ou un dysfonctionnement, et des personnes décidées à s’unir pour faire changer cet état de fait. À ce titre, il estime que le « mouvement cannabique » est composé de plusieurs mouvements sociaux, car basés sur la dénonciation de dysfonctionnements ou d’injustices différents selon les acteurs, entre les anti-prohibitionnistes et les pro-autoculture, les défenseurs d’un accès médical, etc. ;
  • de l’autre, il analyse la prohibition également comme un outil de contrôle social, en particulier de la jeunesse, et ayant donc à ce titre une fonction sociale parallèle aux impératifs de santé publique, de sécurité, etc. compliquant la possibilité d’obtention de changements, et rajoutant un degré de plus au multi-mouvement social qu’est la sphère cannabique ;

Par ailleurs, il analyse l’aspect socialisant de la consommation de cannabis comme étant un facteur freinant l’implication des usagers au sein des organisations de la société civile.

Pour toutes ces raisons, aussi bien pour remobiliser les usagers que pour permettre une synergie des finalités diverses des mouvements sociaux réunis autour de cette plateforme, il préconise une action centrée sur les perceptions, en particulier au niveau micro-social, et y compris auprès les usager-e-s de cannabis.

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La thématique de l’usage responsable et de l’éducation à la consommation était aussi au cœur des débats, avec la participation de nombreux professionnels des secteurs du médico-social, de l’addictologie, de la réduction des risques, et des acteurs institutionnels de communes ou du gouvernement basque. Les dommages sur la santés pouvant être causés par le cannabis ont été répartis en trois catégories : santé physique, santé mentale et santé sociale.

Les caractéristiques d’usage adéquat sont les suivantes :

  • usage modéré,
  • usage responsable (c’est à dire conscient des dommages individuels mais aussi des dommages induits, par exemple sur l’entourage, et agissant pour les réduire),
  • usage sûr et à risques réduits,
  • usage auto-régulé, contrôle des pulsions.
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À quelques kilomètres de la frontière française, et s’ouvrant sur l’océan Atlantique, la ville de Donostia-St Sébastien était le lieu parfait pour inspirer le vent réformiste venu d’Amérique Latine, et se préparer à le renvoyer vers New-York pour l’UNGASS de 2016.

Par rapport à l’UNGASS, session extraordinaire de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur la question des drogues, qui se tiendra en 2016 à New-York, et au cours de laquelle les perspectives alternatives en matière de politiques des drogues devraient être examinées, les débats ont fusé sur les stratégies à adopter, et sur l’opportunité même de se consacrer à une action au niveau international. Les débats se sont également orientés sur les revendications qui pouvaient être portées par l’Espagne si les élections à venir amenaient une alternance politique, que ce soit avec un retour du PSOE (Parti Socialiste espagnol) ou une arrivée des forces de gauche radicale (Podemos, Ciudadanos, Izquierda Unida…).

« Le processus de régulation du cannabis n’est pas incompatible avec un contexte prohibitionniste. À ce titre, les Cannabis Social Clubs sont le meilleur exemple. »

Iker Val, EUSFAC (Fédération des Associations Cannabiques du Pays basque espagnol)

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Le workshop a aussi et surtout été utile aux participants pour échanger et renforcer leurs connaissances sur le système international de contrôle des stupéfiants, et planifier les voies d’influence au sein des institutions gouvernantes de ce système et le travail à effectuer pour y transmettre les revendications de la plateforme.

Un travail que les organisations membres de Regulacion Responsable continueront dans les mois à venir, en prenant en compte aussi bien les évolutions politiques dans le pays (en particulier la série d’élections à venir), les avancées des clubs, et dans le respect du consensus de la quasi-totalité des fédérations de CSC espagnols et d’une grande partie des associations de prévention et de RDR ainsi que des nombreux experts rassemblées derrière cette plateforme.

Chanvre & Libertés, investie aussi bien sur les questions de Cannabis Social Clubs que de politiques internationales en matière de Cannabis, sera présente aux côtés de la plateforme Regulacion Responsable pour mettre en commun les savoirs et optimiser l’action de la société civile à l’ONU.

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On le voit, l »Espagne est aujourd’hui un véritable vivier d’ingéniosité et d’inventivité sociale, où le champ du politique est repris en main par les citoyens, y compris sur des questions comme le cannabis, une plante pourtant là-bas aussi victime de lois liberticides de la part des autorités, et de préjugés époustouflants de la part de la population. La forte volonté de coopération et d’ouverture des organisations cannabiques, la vigueur et l’engagement de militants d’horizons très divers, la constance et la détermination de leurs convictions, de leur discours et de leurs actions, et leur travail de terrain auprès des autorités ont permis non seulement la mise en place d’une auto-régulation de fait d’un pan de la filière cannabicole, mais aussi son amélioration qualitative, sa consolidation légale, et la validation scientifique de son efficacité dans les domaines de l’addictologie et de la criminologie. L’Espagne est aujourd’hui à la pointe du renouveau social et de l’économie sociale et solidaire. Olé!