Les conventions de l’ONU laissent-elles la place à une médication concrète et à la recherche approfondie sur le cannabis ?

Compte rendu de la « Medical Cannabis Conference » de Prague du 4 mars 2015.

Le colloque a débuté à 9h30 par le discours d’ouverture du Dr. Svatopluk Němeček, ministre de la Santé de République Tchèque et parrain institutionnel de la conférence, ainsi que le sénateur Jan Žaloudík, de la commission Santé du Parlement tchèque. Tous deux ont réaffirmé leur soutien à l’usage de chanvre à des fins thérapeutiques, et aux patients en ayant besoin.

 

Michel Kazatchkine à la tribune le 4 mars 2015, photo C&L

Le professeur Michel Kazatchkine, envoyé spécial des Nations Unies en Asie centrale et Europe de l’Est pour le VIH/SIDA et membre de la Commission Globale sur la Politique des Drogues (ou GCoDP, Global Commission on Drug Policies, un groupe de hautes personnalités parmi lesquelles l’ancien secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, Mme Ruth Dreyfuss et de nombreux autres anciens présidents ou haut responsables des questions de drogues, ainsi que d’intellectuels comme le prix Nobel de litterature Mario Vargas Llosa), a rappelé le contexte international et les enjeux importants qui se profilent dans la perspective du sommet de l’ONU en matière de drogues en 2016. Selon lui, « la politique de prohibition des stupéfiants, basée sur une application féroce de la répression, est en échec ; elle n’a fait qu’engendrer plus d’usagers, plus de drogues tant en quantité qu’en variétés, plus de drogues aux concentrations fortes en principes actifs ou à l’inverse trop souvent altérées par des produits de coupe. » Il ajoute que les politiques prohibitionnistes « ont conduit à déstabiliser des pays, à renforcer les organisations criminelles, en laissant cependant 80 % de la population mondiale sans accès aux produits pharmaceutiques pour lutter contre la douleur. »

Sur le thème du cannabis, classé par l’ONU au tableau des stupéfiants dans la catégorie des substances les plus dangereuses, Michel Kazatchkine cite l’étude publiée récemment dans Scientific reports : « le cannabis est 114 fois moins dangereux que l’alcool. » Et d’enchaîner sur les préconisations de la Commission Globale sur les Politiques des Drogues pour réorienter le système international de contrôle des drogues :

  • Mettre la priorité à la santé et l’accès aux traitements,
  • Assurer l’accès aux antidouleurs,
  • Décriminaliser l’usage de drogues,
  • Ne plus adopter des traitements inhumains et dégradants à l’égard des usagers de drogues, sachant qu’actuellement 35 pays recourent à la peine de mort pour des infractions relatives aux drogues,
  • Réformer les conventions internationales (en se basant sur les modèles de régulation du Tabac et de l’Alcool).

Tomáš Zima, le président du bureau d’honneur de la conférence, recteur de la célèbre Univerzita Karlova v Praze (Université Charles de Prague, l’un des plus anciens et prestigieux établissements d’Europe) et ancien coordinateur du comité de reforme de la loi tchèque ayant permis l’accès au cannabis thérapeutique, a remis au Professeur Raphael Mechoulam la médaille d’or honorifique au nom de son Université, récompensant l’importance de ses découvertes et son travail de recherches dans son laboratoire ( l’endroit qu’il ne souhaite jamais quitter, comme son équipe avec laquelle il travaille, nous confiait-il pour répondre à notre invitation en France pour présenter ses découvertes).

Enfin, le coordinateur national des drogues du gouvernement tchèque, Jindřich Vobořil, a réaffirmé la position de la Tchéquie sur la question du cannabis thérapeutique, rappelant que le simple usage de drogues n’avait jamais été interdit dans le pays. Selon lui il faut séparer les débats entre régulation de l’usage adulte et thérapeutique : il estime « intolérable que [la] question [de la légalisation à terme de l’usage adulte du cannabis] empêche le développement immédiat de l’accès aux usagers du cannabis médicinal« .

Le dr. Pavel Pachta (ex-secrétaire de l’Organe International de contrôle des stupéfiants, OICS.) a présenté le cadre légal prévu par les traités internationaux relatifs au contrôle des stupéfiants dans lequel s’inscrit actuellement l’usage de cannabis à finalité thérapeutique. Un des buts premiers de la convention unique de 1961 était de « s’assurer que des stupéfiants soient disponibles [pour soulager la douleur]« , celle-ci reconnaissant d’ailleurs dans son préambule que cette utilisation palliative « demeur[ait] indispensable« .

Il y a donc théoriquement toute la latitude nécessaire dans les conventions, pour permettre aux états de mettre en place un système de production, transformation et distribution de cannabis à des fins médicales. Cependant, les tableaux de classification prévus dans ces conventions sont eux-mêmes restrictifs, puisqu’ils limitent les possibilités d’usage en classant le cannabis comme « peu ou pas utile » au niveau médicinal, et chose encore plus saugrenue comme une « substance avec un fort potentiel d’abus ».

En 1991, le Delta-9-tetrahydrocannabinol (qui porte le nom standardisé dans la pharmacologie de Dronabinol) a été déclassifié du tableau I au tableau II de la Convention de 1971, favorisant la disponibilité à des fins médicales. En 2014, la CND a rejeté la proposition de reclassifier du tableau II au Tableau III, alors que cette recommandation du groupe d’experts de pharmacodépendance de l’OMS a été émise à l’origine en 1972, puis en 1990, puis à nouveau en 2003.

Aujourd’hui, Pavel Pachta nous signale qu’il existe une demande de l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants pour que l’OMS produise une révision de l’état des connaissances sur le cannabis.

Il prend ensuite l’exemple des États-unis, qui importaient l’an dernier 40 tonnes de Ritaline (méthylphenidate), un stupéfiant classé au tableau II de la liste des stupéfiants de la convention de 1971 (liste verte), alors que dans le même temps seuls 105 Kg de Dronabinol (Delta-9-tetrahydrocannabinol) étaient déclarés, pour illustrer le manque de bonne volonté des gouvernements (les deux substances sont en effet classées dans le même tableau de la liste verte, et donc soumises aux mêmes restrictions au niveau international).

Ce ne sont donc pas les limites législatives qui freinent le développement de la médecine à base de cannabinoïdes, mais bien un manque de volonté de la part des gouvernements et des autorités de Santé. Manque de volonté de libéraliser l’accès aux traitements et manque de volonté d’ouvrir la palette d’utilisation.

Le docteur Pachta est donc revenu sur les propos de Michel Kazatchkine, pointant l’importance de l’interprétation flexible des conventions, laissant une latitude aux gouvernements nationaux, pour persister à prohiber aveuglément les stupéfiants, ou pour mettre en place des régulations normatives et spécifiques.